Et si le monde était autre?
Le 11 septembre. Aujourd’hui c’est le 11 septembre. Un an après le soi-disant attentat de New York. A la télé c’est 11 septembre. Dans les journaux c’est 11 septembre. Dans ce qu’on bouffe c’est 11 septembre. Dans ce qu’on vit c’est 11 septembre. Dans ce qu’on vomit c’est 11 septembre. Et pourtant Valentin n’en a rien à foutre du 11 septembre. Pour lui c’est vraiment un truc à la con. Juste un espèce de coup commercial destiné à faire vendre des tee-shirts et des drapeaux. Une bonne occasion pour les gouvernements démocratiques d’appliquer leur lois dictatoriales qu’ils couvaient depuis longtemps, c’est ça aussi le 11 septembre.
Mais bon, pour Valentin, le 11 septembre c’est pas grand chose. Une date parmi d’autres. Rien d’autre. Alors valentin pense à des choses qui sont plus importantes pour lui. (...) Il n’a pas été obligé de dire des choses qui blessent. Il a horreur de faire moralement ou physiquement du mal aux gens. Il prend toute attention à ne blesser personne sans raison. (Mais il l’as fait quand même)
Valentin repense à cette fille assise à côté de lui en français aujourd’hui. Comment s’appelle-t-elle déjà ? « Ah oui, Mathilde. » Valentin pense tout haut sans s’en rendre compte. Cette fille, elle ressemble à Séverine, une fille qui était avec lui aux cours de théâtre l’année dernière. Il l’aimait bien, Séverine. Il la trouvait plutôt jolie. Mais il était trop timide… Il est toujours trop timide. Cette Mathilde, c’est étrange, elle ressemble vraiment à Séverine. Elle est jolie, elle a le même sourire, les mêmes yeux… Valentin rêve éveillé... Il rêve à un autre monde, quelque part, une autre dimension où il n’est pas si timide et où il sait dire aux filles qu’il les apprécie. Mais ce monde n’existe pas. Valentin rouvre les yeux. Il voit de la brume, une lumière forte qui l’aveugle. La brume se dissipe. Il s’est endormi sur son bureau, la lumière qui l’aveuglait était celle de sa lampe de bureau.
« Pourquoi cette saleté de réalité revient-elle toujours plus rapidement que les rêves ? » Valentin chuchote tout seul, en regardant la lumière aveuglante de la lampe sans vraiment la regarder. Il se relève. Il se dit qu’il faut changer quelque chose, qu’il fasse des efforts, pour vaincre sa timidité. « Pour quoi faire ? » Il n’est pas optimiste. Pour Valentin, toute histoire d’amour à une fin, comme les films. Mais lui voudrait vivre une histoire sans fin, sans lendemain, sans matin, sans maison et jardin, sans gamins, sans faim, sans rien. Il veut vivre un film sans début ni fin, ni milieu. Un début qui ne commence pas vraiment quelque chose : un visage, un sourire, un regard, un baiser, une complicité, un amour caché, un amour qu’on ne dit pas, qu’on ne raconte pas à ses amis. Un amour dont on ne veux pas, mais qu’on désire.
Un amour sans fin, sans lendemain, sans… sans lui. Ce n’est pas lui qui est dans ses rêves d’amour. Ce n’est pas lui qui embrasse cette fille au visage indéfini, c’est un personnage qu’il croit, qu’il veut être. Cette fille, ah, cette fille dans ses rêves. Il ne sait même pas si elle est grande ou petite, si elle est nue ou habillée. Il ne sait pas non plus comment il est lui, mais il sent que c’est lui. il sent qu’il habite ce corps d’homme. Ce corps qui rit, qui danse et qui embrasse cette fille. La fille n’a pas de visage, juste une forme vaguement ovale de laquelle se dégage une lumière blanche aveuglante, une lumière chaude, qui le réchauffe. Dans la suite du rêve, il voit son visage à lui. Il est sombre, noir. Mais pas noir comme le noir d’un stylo noir en plastique. Un noir sombre et profond, dont on sent qu’il est immense, un univers de vide et de néant, un noir de nuit sans lune, un noir dans lequel on s’enfonce, on patauge, on se prend les pieds dedans et se sent absorbé, englouti. Englouti par ce noir trop noir. Le visage de la fille, on voit sa lumière être aspirée par le noir gourmand du visage de Valentin. Puis la fille meurt, sa lumière disparue. Elle meurt dans les bras de Valentin. Elle n’a pas d’yeux mais il sent les larmes du visage qui n’est plus là. Il essaye de lui parler, de crier, mais rien ne sort de sa bouche. Il est muet. Il a froid, il se sent vide. Il sent un extraordinaire vide en lui, un gouffre béant où tombent toutes les merveilles du monde englouties dans la boue noire de son visage.
C’est à ce moment qu’il se réveille brusquement. Il est en sueur, il sent son coeur battre plus fort que jamais. Il sent une peur incommensurable s’emparer de lui, la peur du vide, d'être vide, une âme vide, et d’entraîner les autres avec lui. Valentin fait ce rêve au moins une nuit par semaine depuis quelques mois. Il a réfléchit, essayé de comprendre ce que signifiait ce rêve. Rien. Il ne comprend rien. A chaque fois le rêve est identique, il ne peux pas changer son déroulement. Mais aujourd’hui Valentin se dit que la prochaine fois il empêchera ce drame. Il empêchera le vide de s’emparer de lui. En attendant, il pense à Mathilde. Pourquoi ? il ne sait pas. Son visage le rassure, lui apporte une présence bénéfique, apaisante. Il pleure.