Les Chroniques de Valentin

Garde à vue

Je sais pas quelle heure il est. Ici il fait jour tout le temps. Les lumières ne s’éteignent jamais. Pas de fenêtre. Je ne sais même pas s’il fait jour ou nuit. La cellule a des murs jaunes. Un banc avec des planches séparées de quelques centimètres chacune pour que tu ne puisse pas rester allonger trop longtemps sans avoir mal au dos. Le sol est tiède. Chauffage par le sol. Je suis en chaussette. Mon jean descend. Pas de ceinture, pas de chaussures. Ils veulent pas qu’on se pende avec les lacets. Je réfléchis à comment faire un fil pour me pendre avec les morceaux déchirés de mon jean. La vitre est en plastique. En tapant dessus ça rebondit. Les vis sont à l’intérieur. J’essaye de dévisser une vis avec mon bouton de jean. J’y arrive pas. Y’a trois couvertures vertes qui piquent. Une est pleine de merde. A travers un carré de verre en haut une caméra m’observe. A travers un autre carré de verre un halogène illumine la cellule plein pot 24h/24. En face de la cellule y’a une cellule de dégrisement. Pas de fenêtre. Porte en bois épaisse. Pas plus accueillant. Un mec dedans tambourine à la porte. Parfois il s’arrête et chante. Il chante mal, il est bourré. Il pleure. En face un grand black a essayé de se pendre dans une autre cellule. De ma fenêtre je peux voir la grille de la pièce des cellules. Derrière un couloir. Des flics passent des fois. Ma seule occupation est de regarder les flics passer et d’observer quand notre geolier ouvre et referme la grille. Parfois il ne referme pas la grille à clé. Alors je me demande si je pourrais réussir à sortir de ma cellule et partir en courant. Mais impossible en fait on est dans un hotel de police, ça grouille de flics. Mais c’est mon seul espoir.

Le reste du temps je pense aux manières d’en finir. A comment me couper la jugulaire avec un ongle de doigt de pied. Comment arrêter de respirer. Toutes les manières possibles. Et y’en a pas beaucoup. Alors je réfléchit encore plus.

Le matin on ne mange pas. Le midi on a un sandwich et une pomme. Une bouteille d’eau pour les plus chanceux. Le soir ça dépends de notre chance. On peux demander à aller aux chiottes pour boire ou pisser. Faut taper à sa porte de cellule. Le maton vient. On lui demande. S’il est sympa il veut bien. Mais faut pas demander trop souvent. Sinon il vient plus nous voir. Trop content de son autorité il menace de nous mettre en cellule de dégrisement. Les chiottes n’ont pas de porte. En face une cellule avec 5 personnes qui te regardent chier et pisser. Moi je suis toujours tout seul dans ma cellule. La solitude te tue à petit feu. Tu perds toute notion de temps, de jour, de nuit. Tu peux demander l’heure au maton quand tu va aux chiottes. Des fois il te répond, d’autres fois non. Quand je demande à voir mon avocat au bout de 36 heures de garde à vue comment j’en ai le droit, il m’envoie bouler en me disant qu’il faut attendre le matin. Le matin je lui redemande. Et plusieurs fois encore. Je ne verrais jamais mon avocat. Il n’aura jamais transmis la demande.

Quand on dort c’est peu et mal. La lumière à fond, le bruit de soufflerie, le mec qui hurle en face et le banc qui t’explose le dos te poussent à dormir par petits bouts. Sans jamais pouvoir te reposer.

Le premier soir, après deux dépositions et avoir dit la vérité, le flic qui m’avait interrogé vient me voir dans ma cellule.

- On a appellé monsieur X. et visiblement t’as pas dit toute la vérité.
- Hein ? Mais j’ai tout dit ? Et que viens faire ce mec dans cette histoire ? Ca fait un an que j’ai plus de rapports avec lui. Je comprends pas?
- Ouais ben repense bien aux mots qu’il a dit sur toi. Il a bien dit que t’étais un pervers et un délinquant. Alors tu va avoir la nuit pour y repenser.

Puis j’ai commencé à pleurer. A crier. Je me suis tapé la tête contre les murs de toutes mes forces. Avec le vain espoir de l’exploser contre un mur. Jusqu’à ce que le maton vienne taper sur ma porte en m’engueulant.

J’ai passé 48 heures dans cette cellule. Au bout de deux nuits là-bas j’aurais pu avouer n’importe quel meurtre ou génocide. J’étais à bout de force. Je ne comprenais plus ce qui m’arrivais. Je venais d’avoir 18 ans. Et je me suis jamais senti aussi proche de la mort et du désespoir.