Les Chroniques de Valentin

De retour dans nos criques

Je t’écris depuis cette petite île que tu aimais tant.

Tu sais, au large de la maison de tes parents, sur la côte bretonne. On piquait la vieille barque à moitié moisie qui trainait sur les galets et on ramait avec nos mains ou une planche de bois qui s’était échouée. On allait tout droit vers cette bosse qui brisait l’horizon. On avait pas peur, malgré les vagues.

En se rapprochant de l’île tu te mettais debout et tu criais "Terre ! Terre ! Capitaine, voici enfin la terre promise ! A nous les trésors enfouis, à nous l’aventure et cet amour libre dont on parle tant!" Je riais puis reprenais d’une voix ferme "Souquez ferme moussaillon, on est pas arrivés, un peu de nerf!"

L’île était petite, une plage minuscule, et sur les autres côtes s’élevait cette roche rouge si inhabituelle pour la région. On pouvait faire le tour de cette terre d’aventure en moins de trente minutes.

A part du sable et des cailloux, l’île contenait un petit bois et, au milieu, la ruine d’une ancienne ferme. On s’allongeait dans l’herbe qui avait poussé à l’intérieur des ruines et on rêvait de rester habiter là. On faisait de grand projets, reconstruire la ferme, et vivre en élevant des animaux, sur cette petite île qui ressemblait pour nous à ce paradis perdu dont les adultes n’osaient parler qu’à demi-mot.

Les grands semblaient cacher leurs rêves. Nous on rêvait à l’air libre, délicieusement teinté du goût du sel apporté par l’océan. On disait qu’on était tous les deux Vendredi. Qu’on avait flanqué Robinson à l’eau parce que les héros, nous, on aime pas ça. Et puis on changeait de nom, on s’appellait Dimanche, parce que le dimanche on travaille pas, et qu’on voulait jamais travailler. On disait qu’on allait inviter les pirates du coin à boire un coup, et puis même peut-être à s’amuser à faire couler ensemble les bateaux qui servaient à faire proliférer le capitalisme.

Et puis on riait jusqu’à en avoir mal au ventre. On passait des heures à l’aurée du bois en écoutant l’océan se rouler dans tous les sens. Nous on disait qu’il se roulait de rire parce que les poissons clowns étaient très drôles.

On profitait chacun allègrement de la tendresse de l’autre. On jouait dans le sable, on écrivait des poêmes éphémères à marée basse. On était comme des gamins. On profitait de notre vie en toute insouciance.

On avait à peine vingt ans et on ne voulait déjà plus entendre parler du monde des adultes.

On avait à peine vingt ans et tout était possible.

Leur monde était derrière nous, sur la côte, bien rattaché au continent. Nous on était sur notre île, on était amoureux et on volait vers le large.

On savait déjà qu’on ne serait jamais vieux.
Que la jeunesse c’est pas sur la peau, mais dans les yeux.