Les Chroniques de Valentin

Sans titre.

(Ecrit sans titre griffoné sur un des trop nombreux bloc notes de Valentin.)

Mercredi 12 janvier 2005. 9h26. Cours de Philo. Je m’ennuie comme un rat mort. Le temps semble s'être ralenti. Ce cours à l’air interminable. J'écris rarement comme ça en public. D’habitude le processus d'écriture est solitaire, il a besoin d’intimité et de calme. Mais là je me fait tellement chier que le seul échappatoire me semble être dans l'écriture. Et comme je ne sais pas écrire autre chose que ma vie, en voilà un morceau. A l’horizontale, c’est ma nouvelle manière d'écrire depuis le 1er janvier. Ca me donne une impression de fluidité, de continuité (pas de paragraphes, tout en un bloc uniforme), d’une écriture moins "hachée", plus brute et plus réfléchie en même temps. L’impression de prendre le temps de poser mes mots sur le papier, installer les phrases avec mon stylo. Tranquillement, plus sereinenement que d’habitude. C’est particulièrement agréable.

Tout à l’heure on m’a transmis ma copie de Philo du Bac blanc. 2/20. Ca fait mal, un peu. Non pas que j’ai énormément bossé ce devoir ni cru que j’allais avoir une note au dessus de la moyenne, mais les commentaires laissés par le correcteur m’ont blessé. En rouge, agressifs. Les larmes qui montent aux yeux en les lisant. Puis non, ça n’en vaux pas la peine. Ainsi ma lecture du texte à commenter était "idéologique, pire, stupide à force d’ignorance". Idéologique oui, je suis d’accord, je ne peux pas écrire quelque chose sans exprimer mon opinion, mes idées. Autre commentaire, tout aussi agressif : "C’est très simpliste de dénigrer quand on est ignorant : on cache son incapacité à comprendre." Alors oui, peut-être, je suis ignorant, peut-être que je n’ai pas compris le texte et que je cache mon incapacité à comprendre. Oui, peut-être, probablement même. Mais je n’ai jamais prétendu le contraire. Je suis peut-être immature, naïf ou stupide même comme on me l’a souvent reproché. Oui, peut-être. Et alors ? Encore une fois, je n’ai jamais prétendu le contraire. Oui je suis peut-être simple d’esprit, peut-être que je ne comprends pas tout, en tout cas pas assez rapidement, peut-être que je suis ignorant. Oui, oui et oui. Mais qu’est-ce que ça peux bien faire ? On est pas tous des génies et surtout pas moi, malgré ce qu’on m’a souvent dit (à titre flatteur, critique ou faussement objectif). Et alors ? Je revendique le droit d'être bête, simple, de ne pas comprendre et même, oh quel affront, de ne pas vouloir comprendre ni même chercher à comprendre. Oui je peux être cela.

(...)

La vérité c’est que je m’en fout. Sauf que ces commentaires purement méchants m’ont complètement démonté. Peut-être que personne ne s’en est aperçu, sûrement même [1]. Je n’ai pas vraiment cherché à m’en cacher non plus. Mais je me suis récemment aperçu que certaines personnes que je fréquente me voient comme quelqu’un de toujours souriant, de bonne humeur. Ca m’a fait tout drôle, ce n’est pas l’image que j’avais l’impression de renvoyer. Je me vois plutôt comme un éternel pessimiste. C’est rigolo ce décalage, ça me perturbe autant que ça me fait plaisir.

J’ai toujours pensé qu’une journée ou je n’arrivais pas à faire sourire quelqu’un était une journée perdue. Ce monde est pourri, on va tous crever, ça c’est la réalité, ou plutôt la réalité que je perçois. C’est aussi ce qui me fait dire que c’est une bonne raison pour se fendre la gueule et faire des trucs qui nous intéressent maintenant, pas demain, pas quand on sera vieux, pas quand on nous dira qu’on aura le droit. Je veux qu’on s’attribue ce droit, qu’on le prenne maintenant. Car oui c’est un droit, celui de profiter de sa vie. Pour moi le rire est une thérapie. En fait je suis une espèce de clown. J’ai toujours adoré faire rire les autres en cours. C’est d’ailleurs la principale raison qui me fait encore venir en cours, faire le pitre. C’est mince. Ca me fait penser à cet article du webzine L’interdit [2] ou quelqu’un témoignait « A l'école primaire, la maîtresse nous a demandé d'écrire sur une ardoise quel métier nous voulions faire plus tard. J’ai noté clown. Elle s’est tellement moquée de moi que j’ai fini par marquer vétérinaire comme les autres. » Je ne me rappelle plus ce que je disais à l'école primaire, d’ailleurs je crois que je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais faire, mais ça ne m’empêche pas de me reconnaître dans ce témoignage, je ne sais pas trop pourquoi.

On me demande ce que je veux faire l’année prochaine. Je dit du droit ou dans les métiers du spectacle ou dans l’informatique mais je pourrais aussi dire dans le journalisme, dans l'édition, dans la musique, etc etc. tout ça m’intéresse. Mais je ne sais absolument pas ce que je veux faire l’année prochaine. Je n’arrive pas à faire de choix. Je ne veux pas faire de choix. J’ai aucun projet professionnel et la vérité c’est que je m’en fout. Le bac aussi je m’en fout. J’essaye de me persuader que je veux la vérité c’est que j’en ai absolument rien à faire. Je m’en fout complètement. Ca ne m’intéresse pas. Je ne sais pas en quelle langue il faudrait le dire mais ça ne m’intéresse pas. Ouais je crois que je suis définitivement pas un élève "sérieux". Et la vérité c’est que je m’en fout d'être sérieux ou de savoir ce que je veux faire dans un, cinq, dix, quinze, soixante ans. Tout ce que je sais c’est que là maintenant j'écris ma vie sur un carnet, que j’adore ça, que ça m’apporte plein de choses. Que je passe du temps avec mes ami-e-s, qu’ils m’apportent énormémement, que je bidouille des trucs techniques sur mon ordi, que je regarde des films, lis des livres, me documente sur certains sujet, me passionne pour d’autres, et que ça me plaît et que j’ai envie de le faire maintenant. Ca je le sais et je veux continuer à le faire. C’est pas ça le plus important ? Savoir où l’on en est et savoir qu’on veux continuer dans cette direction ?

Les cours ne sont qu’un obstacle pour moi. Je me demande encore pourquoi j’y vais, qu’est-ce que je vais foutre là bas, je n'écoute presque plus rien, ne prends plus quoi que ce soit en notes, je passe mon temps à me dire "Mais qu’est-ce que je fout là?" avec l’impression d'étouffer et l’irrésistible envie de sortir de la salle. Je ne suis définitivement pas "scolaire". Tout aurait été plus simple si j’avais toujours aimé l'école, la compétition, les notes, la réussite sociale et tout ce genre de conneries… Seulement je n’ai jamais aimé ça…