Ce si beau malheur
Valentin n’aime pas le bonheur. Il n’aime pas voir dans la rue un couple se tenant la main. Il n’aime pas voir au lycée deux personnes qui s’embrassent. Ces gens-là, qui montrent ouvertement leur bonheur, devrait être enfermés, internés. Valentin ne les aime pas, il n’aime pas que les autres lui crache à la gueule leur bonheur. Leur saleté de bonheur, tout beau, éternel et spontané. Un bonheur sans fin, mais qui finira demain. Valentin a l’impression que tous les autres font exprès de lui montrer leur bonheur pour qu’il comprenne mieux son malheur. Son malheur si beau, si chétif, si… présent. Vendredi encore, Valentin a aperçu son meilleur ami dans les bras d’une fille. Ce n’est rien, Valentin à l’habitude. Une fille…
Valentin en a marre. Il en a assez de bouffer du malheur à longueur de temps. Ce malheur aigri, fatigué, rance, pourri et dégueulasse. Ce malheur qui lui fait vomir des larmes. Ce putain de malheur qu’il n’arrive pas à tuer. Il a bien essayé plusieurs fois de tuer ce malheur bouseux qui lui colle à la peau, mais c’est dur. On ne tue pas un malheur comme un homme. Pour un homme c’est facile, il suffit de serrer le cou de la victime très fort avec ses mains et en moins de rien c’est fini. Mais le malheur lui, est vicieux et prévoyant. Il n’a pas de cou, pas de coeur, pas de cerveau, rien qui puisse être tué matériellement. Valentin aurait beau essayer d'étrangler son malheur, il resterait là, dans sa tête, à faire pleurer son corps et à faire grincer son coeur.
Valentin voudrait connaître le bonheur. Il voudrait pouvoir voler le bonheur des autres et se l’approprier, pour lui tout seul, son bonheur à lui, rien que pour lui. Mais non, ce n’est pas possible, le bonheur ne se dérobe pas, il se gagne. Mais Valentin ne sait pas comment gagner ce bonheur. Il a déjà essayé, mais toutes ces tentatives ont raté. Être amoureux ? Ca a été encore pire, son coeur fut brisé en trop de morceaux pour qu’il puisse tous les récupérer. Être riche ? Non, trop bête comme idée, tout le monde sait que l’argent ne fait pas le bonheur. Être adulé ? Non, franchement Valentin ne se voyait pas sur un plateau télé à jouer la star capricieuse. Avoir des amis ? C’est pas mal, mais ce n’est pas encore le type de bonheur qu’il recherche. Valentin a des amis, pleins d’amis. Des filles, des garçons, des humains, des moins humains et des loufoques… Mais tous ses amis n’ont pu donner à Valentin assez de bonheur.
Alors aujourd’hui, Valentin cherche le bonheur ailleurs, dans d’autres domaines, dans des univers encore inexpliqués, des mondes parallèles ou perpendiculaires, des idées sans lendemain, des fruits sans jardin, des richesses sans butin, des sourires sans chagrin, des tout sans rien. Valentin ferait peut-être bien de parler à cette Léa… Ou il ferait mieux de laisser son destin se tracer… Valentin ne sait pas, il ne sait rien. Tout ce qu’il sait c’est qu’il ne faut rien prévoir, rien planifier, rien écrire pour l’avenir; il faut juste laisser son imagination et sa spontanéité jouer le rêve de demain, et laisser ce rêve libre, sans menottes au mains.