Les Chroniques de Valentin

Je marque les pages.

Je marque les pages, une à une, avec tout mon désir d’en savoir plus.

Je ne sais pas si c’était l’odeur chaude de son ventre ou si c’était juste les frissons que provoquaient ma langue sur ses hanches mais je ne savais plus ou donner de la tête.

Sous mes doigts je pouvais soulever une tempête. D’un simple bruissement tout pouvait s’embraser. Elle était belle et ses courbes me privaient de tout raisonnement possible.

Ses mots étaient recherchés, son vocabulaire raffiné. Au fil des phrases j’étais comme ensorcelé par les ponctuations qui fluctuaient aussi simplement que l’eau s’écoule dans les ruisseaux. J’étais incapable de résister.

Son écriture était dense et complexe. Je touchais à peine du bout des yeux les raisonnements ainsi expliqués. J’étais totalement dépassé. Et j’adorais ça. J’étais ennivré dans les bras du plus grand roman de tous les temps. Et ses feuilles de papier m’enserraient comme de grands bras amples qui viendraient me protéger du monde.

J’étais bien là dans ce livre, entre l’odeur agréable et rassurante de vieux papier et les histoires de la seule fille que j’aimais.

Pourtant, un jour, le récit changea. Et je fut projeté dans un abîme incompréhensible de violence. La fille se noyait. Et je ne pouvais rien faire. Elle se noyait dans les vagues de mots-composés. Mais j’étais complètement impuissant. Je ne faisais que survoler les pages. On ne me laissait rien aperçevoir ou revoir. J’étais prisonnier d’une lecture méthodique et acharnée. De la première à la dernière page. Dix pages par jour. Réglé comme du papier à musique, je subissais jour après jour les mots des livres. Et mon héroïne se noyait sous mes yeux.

Je n’étais qu’un marque-page.

Et je n’ai jamais plus pu caresser son bas-ventre.