Les Chroniques de Valentin

Le ventre déchiré

Quatre mai. C’est ma fête. J’ai six ou sept ans. Je sais plus trop. A l’école j’ai eu de fortes douleurs dans le ventre. Le soir mes parents m’emmènent chez le médecin. Il sais pas ce que c’est. Direction l’hôpital. Dans la voiture ou je me tort de douleur je presse contre moi mes peluches. Y’a mon dauphin. Je m’en souviens. Le dauphin bleu. Tout doux. Je le serre fort. J’ai mal. La voiture me donne envie de vomir. Alors que j’avais déjà envie de vomir. Je comprends pas ce qui m’arrive.

Un hôpital. Murs blancs. Draps vert terne. J’ai six ou sept ans. Je sais plus trop. Cela fait plusieurs jours que je suis là. Je vomis. Depuis le début je vomis tout. Les médecins disent que j’ai une gastro. Je vomis la nourriture. Je vomis l’eau. Je vomis le coca. Je suis vide, vidé, carcasse vide. Mes parents sont là, ils ne comprennent pas. Les médecins ne comprennent pas. J’ai très mal. Je comprends pas ce qui m’arrive non plus.

Une salle d’opération. Murs blanc. Lumière blanche. Je ne comprends pas pourquoi je suis là. Je n’ai pas compris. Mais je ne comprends plus rien depuis longtemps tellement je souffre, tellement je ne comprends pas pourquoi mon corps ne m’écoute plus. Pourquoi je vomis tout. Les médecins et les infirmières s’affairent autour de moi. Un monsieur en blanc avec un masque me dit qu’il va me mettre un masque sur la figure pour que je m’endorme. Il me demande si je veux que le masque ait l’odeur de la menthe pour que ça soit plus agréable. Je lui dis que j’aime pas la menthe. Chlorophylle ? Va pour chlorophylle, j’aime mieux. Il le pose sur mon visage et quand je respire ça fait bizarre. Mes yeux se brouillent. J’ai peur. Il fait noir. Longtemps. Je comprends pas ce qui m’arrive.

Une salle d’hôpital. J’ai très mal. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’ai des tubes dans le nez et dans la gorge. Des aiguilles dans les bras. Je suis dans un lit bizarre. Des machines autour de moi. J’ai mal. Mon ventre me brûle. Ou se déchire. Je comprends pas. Je respire mal. Les tuyaux me font mal. Mais moins que mon ventre. Je ne peux pas bouger. Je n’ai pas de force. Mes parents viennent me voir. Je me rappelle pas. Des bébés dans des boites en plastique crient de l’autre côté de la vitre qui fait office de mur. La pièce est sombre. Ou ce sont mes yeux qui ne s’ouvrent plus. Je sais pas. Je comprends pas ce qui m’arrive.

Une autre salle d’hôpital. J’ai encore mal. Tous les jours des infirmières changent mes bandages. J’ai un trou gros comme mon avant-bras sur le ventre et un autre gros comme ma main au dessus de mon bassin. Je sais pas ce qui m’arrive. J’ai mal. J’ai des fils sous la peau. Ca pique. Ca démange. Ca tire. Ca déchire. J’ai un trou dans le ventre. Je comprends pas. Pourquoi ? Je vomis plus. Je recommence à manger. Des gens viennent me voir. De la famille, mes parents, des ami-e-s peut-être. Je me souviens pas. Des détails. Un puzzle dinosaure à monter en bois. La télé jusqu’à très tard. Des programmes pourris. Jusqu’au petit matin. Les dessins animés. La bouffe. La chambre un peu. J’ai mal. Et je comprends toujours pas ce qui m’arrive. Mais je comprends que je n’irais pas à l’école et je suis content.

Quelques jours avant la sortie de l’hôpital. Plusieurs semaines que je suis couché dans mon lit. Le ventre avec un trou et des bouts de ficelle pour le fermer. Je dois me lever pour marcher. Je tiens plus debout. Je met plusieurs heures avant de réussir à marcher. Je comprends pas pourquoi mes jambes ne marchent plus.

Retour à l’école. Je n’ai plus de bouts de ficelles. Mais une fermeture éclair comme ils disent les grands. Je comprends pas. Je reviens en CE1. Quelques jours plus tard, Isaac, "camarade" de classe, me met un coup de poing dans le ventre, comme il faisait avant. Je suis revenu dans le monde normal. Mais avec le ventre déchiré en deux.

Plus tard j’ai compris. Le nom de la maladie. Péritonite. J’ai compris que j’ai failli mourir. Que la vie ne tient qu’à un fil, que c’est fragile. Que c’est une chance. Un combat. Qu’un ventre déchiré n’est qu’une trace d’un combat quotidien pour vivre ici.