Les Chroniques de Valentin

Conte urbain: les pieds mouillés

Je marche dans la rue. Et il pleut. Alors le sol est mouillé. Les trottoirs se transforment en super flaques d’eau. Et moi mes chaussures elles aiment pas l’eau. Enfin si justement elles l’aime trop. Donc je me retrouvé, 50 mètres plus loin que chez moi avec les pieds mouillés. Et arrivé à l’arrêt de bus je sens un effet de ventouse entre mes pieds, mes chaussettes trempées et mes chaussures qui barbotent joyeusement. Flop flop flop que ça fait. Alors je suis pas content. Je suis mal à l’aise. Marcher en pleine rue comme ça avec les pieds mouillés c’est pas très sérieux, il faut une certaine tenue quand même. Alors j’avance en faisant mine que tout va bien. Que là en bas vers le sol il n’y a pas de scandale, d’attitude honteuse. Mais les gens voient bien que je colle pas dans le paysage du centre ville. Que ma démarche n’est pas normale. Oui j’ai les pieds mouillés et qu’est-ce que ça peut vous faire ? Les gens font ce qu’ils savent faire de mieux, ils me regardent bizarrement. Je crois que c’est tout ce que ça sais faire un gens, regarder les autres de travers. Ah et être normal aussi, important ça, le gens est normal. Donc moi les gens qui me regardent ça m’énerve. Alors je commence à marcher plus vite. Puis à ralentir. Et puis ils me regardent toujours alors je marmonne, je m’énerve. Et puis je parle à voix basse. Puis à voix haute. Puis je leur crie qu’ils feraient mieux de s’occuper de leur maquillage sur leurs faces de fesses plutôt que de me regarder. Mais ils me regardent de plus en plus. Alors je me retourne, je fait demi-tour, je change de direction, je me cache dans les ruelles… Mais rien n’y fait les gens sont toujours là. Saletés de gens. Et mes chaussures font toujours flop flop flop. Mais la pluie fait ploc ploc ploc. Alors j’ai une idée. Je m’assis sur une marche qui passait par là, posée contre une maison, bien aimable de sa part d’ailleurs de me laisser m’asseoir sur elle. Les marches c’est pas comme les gens, elles sont gentilles elles au moins. Alors je commence à enlever mes chaussures, puis mes chaussettes toutes mouillées qui ont finit par prendre la couleur des chaussures. Donc je me retrouve pieds nus, en plein milieu d’Esquirol, à me trimballer les chaussures à la main. Trouvant leur utilité au bout de ma main assez douteuse je les jette dans la première poubelle que je rencontre. Pendant que mes pieds sur le trottoir font swif swif swif, mes chaussures ne font plus flop flop flop. Mais la pluie fait toujours ploc ploc ploc. Et si les voitures font vrrrr vrrrr vrrrr, mes chaussures tombant dans la poubelle font boum bim bam poum belle.

C’est à ce moment-là que la poubelle se retourne vers moi en pleurant. Alors je la caresse avec le creux de ma main, je referme tendrement son couvercle, et je m’assis à côté d’elle en la prenant dans mes bras. Je lui demande ce qui se passe. Et elle me parle de sa triste vie, toujours là à se faire balancer des trucs en travers de la figure. De sacs poubelles éventrés aux menus Best Of du macdo à peine entamés, elle en vient à me parler des filles qui trouvent refuge à l’intérieur d’elle dans les nuits les plus froides. Des filles ? Intrigué je lui demande de m’en raconter un peu plus. Elle me dit que parfois, sans prévenir, déboule une jeune fille toute nue, toute froide, silencieuse. Pauvres filles. Je ne sais pas ce qui a pu leur arriver pour se retrouver nue dans une poubelle, fut-ce-t-elle de centre ville, mais probablement des choses atroces. Alors la poubelle continue de parler des filles, comme elles sont belles avec leurs yeux grand ouverts, leur doigts tout frippés, leur peau toute bleue. Elle me dit que parfois les filles sont dans des sacs plastiques ou des bâches. Parfois dispersées en petits morceaux.

Alors la pluie fait ploc ploc ploc. Et l’eau dans le caniveau fait blou blou blou. Et la poubelle fait boum bim bam poum belle. Et ses larmes font plic plic plic. Et ma voix fait chhht chhht chhht. Et les gens font ooh ooh ooh. Et la nuit fait le silence sur la ville qui mouille ses chaussettes. Une grande poubelle remplie à ras bord d’eau de mer pleure des jeunes filles toutes bleues à la peau salée. Et qui s’en soucie ? Les gens rentrent chez eux. La vie sans souci. Des pieds mouillés à faire sécher. Une télé à allumer. Un cerveau à nettoyer. Quelques trucs à manger. Un enfant à gronder. Un travail à oublier. Une maîtresse à aimer. Alors les poubelles qui pleurent personne ne s’en souci. C’est la vie sans souci des gens normaux qui ne rêvent jamais dans leurs grands lits. Dans la rue un téléphone fait bip bip bip. Et la nuit fait ... ... ... Silence.