Les Chroniques de Valentin

I'm in love with you (12)

Je n’aime pas saisir comme ça le courant d’une conversation que je n’ai pas à entendre. Mais là je n’avais pas pu faire autrement. Avec Lucie on se regardait d’un air gêné. On savais qu’on aurais pas dû entendre tout ça. Le malheur de Quentin me gênait. Il y a quelque chose d’embarassant et de révoltant dans les pleurs d’un ami, car vous savez que sur le moment vous êtes impuissant, vous ne pouvez rien faire.

Lucie s’est collée contre moi en me prenant par la taille et en déposant ses lèvres au bord de mon oreille elle me chuchota "Can I do something for your friend ? I don’t really understand why he’s crying but it seems really hard for him… If I can help please tell me." La gentillesse de Lucie était attendrissante, c’est rare de voir des gens aussi attentionnés. Je lui répondis d’un signe négatif de la tête. Elle ne pouvait rien faire pour lui. Et moi non plus. Et je posa ma tête sur son épaule, comme si la douceur de sa nuque pouvait m’apporter une réponse.

Elle susurra dans mon oreille dans un français hésitant "Je ne veux pas que tu parte." Je souris et la serra encore plus fort dans mes bras.

Quand j’ai vu Lucie pour la première fois je suis tombé amoureux tout de suite. Dès les premiers mots qu’elle eut prononcé devant moi j’étais sous le charme. Tomber amoureux c’est une chute, on tombe, on ne sais pas dans quoi mais on y tombe. On fait une grande chute dans l’inconnu. Je suis tombé amoureux d’une inconnue sans comprendre vraiment pourquoi au début. J’ai toujours aimé les filles, oh ce n’est pas que les garçons ne m’intéressent pas, c’est que je peux tomber très facilement amoureux d’une fille. Parce qu’il y a des détails qui me font craquer. Les grains de beauté, des cheveux bouclés, ou roux, une certaine forme de visage peu commune, etc.. Et je crois que c’est justement parce que Lucie ne possédait aucun trait physique typique des anglais que je m’y suis accroché. Et puis il y avait cet étrange regard sombre et brillant. Quelque chose qui ressemblerait à un gouffre, une fuite en avant, une main-mise sur le temps. Quand je m’enfuit dans son regard tout s’arrête, je suis dans un autre monde. C’est vraiment étrange.

Lucie a une manière de parler très retenue. Elle parle peu et souvent à voix basse, en chuchotant. Comme si elle parlait pour nous endormir, le soir, sur le bord d’un lit. Elle chuchote en laissant apparaître ses dents dans un discret sourire timide mais omniprésent. On a toujours l’impression qu’elle est gênée de notre présence. Sa voix est douce et mélancolique. Difficile à transcrire tellement c’est ambigu. Chacun des mots qu’elle prononce est un trésor de sonorités pour l’oreille. Comme ce jour-là, dans ce petit couloir, pendant que l’on essayait de trouver comment réconforter Quentin, elle me dit, tout près de l’oreille, juste avant de s’enfuir vers les escaliers, un fuyant et superbe "I’m in love with you" prononcé en un seul souffle.

(à suivre)