Les Chroniques de Valentin

Temps au pluriel.

Y’a ceux qui pensent avec nostalgie au passé.
Qui rêvent de revenir en arrière, réparer leurs erreurs.
Changer le passé.
Ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Croire qu’il est possible de changer le présent.

Y’a ceux qui pensent avec nostalgie au présent.
Qui rêvent de pouvoir ralentir l'écoulement du temps.
Pouvoir prendre le temps de vivre.
Réfléchir à ce qu’ils font plus longuement.
Croire qu’il est possible de changer le futur.

Y’a ceux qui pensent avec nostalgie au futur.
Qui rêvent de pouvoir voyager dans le temps.
Vivre vite et mourir à l’heure.
Aller plus vite que ce qui nous est donné.
Ne pas regarder le paysage défiler.
Croire qu’on ne peux rien changer, qu’il faut toujours avancer.

Oublier qu’on était différents.
Que ce n'était pas le moment.
Qu’on habitait pas sur la même île.
Que l’océan nous séparait.
Qu’on aurait pu se noyer.
Qu’on a dû perdre le nord.
Oublier ce qu'était le sud.
Disparaître à l’est.
Viser l’ouest et chavirer en route.
Se sentir sûr de soi et oublier ses doutes.
Lâcher l’ancre.
Arracher les amarres.
Lever les voiles.
Brûler la poupe.
Et puis l’encre.
Il était peut-être trop tard.
Dessiner une toile.
Regarder à la loupe.
Qu’au fond on était pas aussi différents.
Que tout ce qui importait c'était ce moment.
Etre présent pour elle et il.
La mer lentement se vidait.
On s’est peut-être oubliés.

On est bien loin de l’océan et de tous les goélands. Ici le bleu il est dans les yeux. L’eau vire au verdatre. Le sable est grisatre. On l’utilise pour faire des cités en béton. On vit dans du laiton.

On est bien loin du nord. Et du sud. Et de l’ouest. Et de l’est. On est loin de tout. On est loin de nous. Un peu perdus dans la brume. On a la carte sous les yeux mais on va dans la mauvaise direction. On a oublié qu’avant on avait pas besoin de carte. Qu’avant on regardait les étoiles. Ici on ne les voit même pas.

On est bien loin du futur, du présent ou du passé. Le temps s’est arrêté ici. Tout vieillit sans grandir. On écrivait des mots dans le sable. La marée effaçait tout. Ici on grave nos mots dans le béton. Ils restent après les années. Ils vieillissent avec nous. Ils ne nous oublient pas. On les ignore.

On est bien loin du cargo qu’on avait pris ensemble. Tous les deux entassés dans les soutes, cachés derrière une caisse. Maintenant c’est le cargo qui nous prends. Et on est dans la caisse. Toujours entassés, mais moins enthousiastes à l’idée d’arriver.

On est bien loin de l’horizon, des grands espaces, de la liberté, du vent dans les cheveux, de l’océan, de notre radeau de fortune, de nos amours, de nos rêves. On s’est échoués sur le continent. Y’avait un écueil. On s’est fait avoir. On a jamais pu repartir. Il n’y a plus de bateaux au loin sur les vagues. Quelques plaques de mazout tout au plus. On s’est échoués. Et on est enfermés. Prisonniers d’un monde qu’on a pas choisi.

Dans mes rêves notre bateau nous attend au port. Tout le monde prend son bateau. On hisse nos voiles ensemble. Le vent est doux, il nous caresse les joues en nous susurrant "disparaissons". On met le gouvernail sur direction inconnue. On vogue vers le large et on disparaît. Puis on renaît.

On est bien loin de l’océan. On s’est échoués et on agonise. On manque d’eau salée. On se déshydrate. Le continent nous étouffe. La mer nous appelle. Mais on est enfermés. On s’est échoués, c’est trop tard. On ne peux plus partir. On s’est échoués sur le continent et on va mourir lentement. Tout ce qui reste comme eau salée sont nos larmes.

Passés, présents, futurs. Temps au pluriel. Tout est amalgamé. On s’est échoués. On est prisonniers d’un monde qu’on a pas choisi. Drôle de vie. Drôle de nostalgie…