Les Chroniques de Valentin

P. Ample. Mousse.

Je me rendais chez P. pour que nous allions je ne sais plus trop où. À un concert. À une soirée quelconque. Peu importe. Sa maison était une sorte de demeure des années soixante ou soixante-dix, toute en béton, un peu à l’écart de la ville. Avec sur certains murs de la frisette en bois. Je déteste la frisette. Mais c’était dans le style de la maison. Il faut dire que ça représentait une certaine amélioration par rapport à son précédent logement, un appartement miteux du centre ville où les fenêtres ne fermaient pas. Je ne me souvenais plus vraiment comment elle avait pu habiter dans cette maison. Peut-être ses parents avaient-ils quitté leur appartement aussi pour prendre une maison et les avaient-elles rejoints alors qu’ils commencaient à se faire vieux. Peu importe.

Nous sortions de la maison pour nous rendre en ville ou ailleurs, à cet événement quelconque qui ne m’a pas laissé de souvenir tellement il devait être commun. Pour y aller il fallait traverser quelques kilomètres de verdure. C’était le soir, le soleil se couchait lentement et donnait à P. de jolies couleurs roses et oranges. Tout comme au décor qui commençait à étirer de longues ombres qui auraient pu se faire menaçantes, mais je me sentais plutôt serein. Nous marchions dans l’herbe qui se faisait désormais humide de rosée nocture, et je pensais que mes chaussures seraient bientôt suffisamment mouillée pour que l’humidité les traverse et rencontre mes pieds. La végétation, elle, semblait se prélasser de ces gouttelettes qui lui apportaient enfin un peu de fraîcheur après une journée tiède, que je ne qualifierai pas non plus de chaude. Tout juste suffisante pour se sentir bien, mais pas assez pour transpirer. Les chênes, les châtaigniers et les noisetiers bordaient le chemin en une sorte d’escorte florifère.

Quand je m’arrêtais pour demander à P. si ses pieds n’étaient pas mouillés, elle s’arrêta. Je m’arrêtais aussi et attendis sa réponse. À la place, elle s’approcha de moi et m’embrassa. Désemparé et ne sachant que faire, je n’eus d’autre choix que de lui retourner ses baisers. Il y a si longtemps que je rêvais de ça, que je ne m’y attendais pas. Je bafouillais. « Mais... » Je n’eus pas le temps de dire grand chose que nous étions déjà à genoux dans l’herbe. De toutes manières je n’aurais pas su quoi dire. Elle me dit simplement qu’elle savait qu’elle me plaisait depuis longtemps. Ce qui était vrai. Mais me sentir ainsi percé à jour, comme si mes sentiments avaient été transparents, que je n’avais jamais rien su cacher, me troublait profondément. Je rougissais. Elle souriait. Nous nous enlacions. Dans ses bras je me sentais si bien, comme si j’avais enfin trouvé ma place en ce monde.

Ses mains, un peu froides, suffisamment pour me causer des frissons mais pas assez pour me causer un réflexe de recul, commencaient à se promener sous mes vêtements et bientôt sur mes fesses et mon sexe. En réponse je me devais de faire de même. Bien qu’étrangement je ne sois pas attiré par sa poitrine qui me fit pourtant fantasmer de si nombreuses fois par le passé. Elle était tout ce que j’avais pu rêver : une personne à la sexualité libre et entreprenante qui m’apprenait de nouvelles manières de jouir de nos corps. Et nous avons joui, tous les deux, de par nos mains. Nous relevant, les genoux mouillés, nous nous regardions. Avec ce regard des amoureux qui pour la première fois se sont reconnus. Un regard de passion, d’espoir, d’avenir. Je me sentais bien et surpris. Étonné de la situation, comme si je ne la méritais pas, comme si j’étais en train de rêver et que tout allait disparaître au premier clignement d’yeux. Mais non.

Nous avons ensuite repris le chemin. Nous discutions comme si d’un coup nous pouvions parler de tout, avec une grande liberté. Comme si tout d’un coup nous étions libérés. Les discussions s’orientèrent rapidement vers C., mon amoureuse. Nous la savions jalouse, très jalouse. P. et C. étaient amies depuis des années. Quand elle en parlaient, je sentais que P. aimait beaucoup C.. Pour autant il me semblait inconcevable de cacher quoi que ce soit à C.. P. était du même avis que moi. La question était comment le lui annoncer et quelle réaction espérer. Je crois que P. était amoureuse de C. et qu’elle aurait bien voulu que nous vivions ensemble à trois. Je ne savais quoi penser, n’étant pas particulièrement intéressé par les fantasmes masculins classiques en ce genre de situation. J’expliquais cela à P. qui en sembla soulagée.

Nous n’étions plus qu’à quelques pas de l’endroit où nous devions aller. Nous nous sommes arrêtés, et embrassés. Lové dans ses bras, je me sentais si bien. L’odeur de sa peau m’enivrait. Ça y est. J’étais amoureux.

Et c’est là que je me suis réveillé.