Les Chroniques de Valentin

L'empire poétique du rien du tout

C’est quand je pense à toi, comme ça, le soir, la nuit, le jour, une guitare à l’oreille, une douce voix qui murmure de si belles atrocités, que je me sens seul au monde, comme un cafard, comme un animal, un requin d’une race en voie d’extinction, le dernier tigre à dents de sabre, le dernier terrible panda, effondré dans ses larmes et ses lamentations, qui ne cherche rien d’autre qu’à être aimé, qu’à se sentir entouré, et pendant ce temps-là, toi qui t’éloigne d’ici, à des centaines de kilomètre-heure, pour me fuir, pour nous fuir, pour fuir le monde, celui-là même qui ne nous aime pas, qui nous en veut, à mort, à dessein, comme un sombre corbeau nocturne, un insecte de mauvaise augure, qui n’aime pas celles qu’on laisse sur le rebord du mur, assises à voir s’éloigner l’autre dans un train, une voiture, un cargo, un tsunami de néant, sur des vagues de mots qui s’effacent, de promesses qui s’éloignent, d’amours qui s’étiolent, de poèmes qui s’amusent, dans un élan inconsidéré, que j’aimerais revoir plus souvent, tout comme tes sens à l’affût, collés contre mon sein, et ton dos contre mon ventre, doux comme une ortie qu’on saurait caresser dans le bon sens, je ne me piquerais jamais contre toi, et quand je te serre dans mes bras, j’entends le piano de mes pas qui s’éloignent, je sais déjà que l’on se quittera un jour, un demain, un hier, que je ne saurais voir, mais que j’avais prévu, et je pleure comme un con car tu me manques déjà alors que tu es encore là, je renifle comme un gamin, je chuchote à ton oreille que je suis amoureux, je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire par là, ce que ça représente pour moi, de te l’avouer enfin, je tombe, vidé du peu d’énergie qu’il me restait, mais je suis heureux, je souris, comme un vieux qui ne comprends plus rien à la réalité, car elle ne compte plus, tant que l’empire poétique de ma tête contre tes seins haletants résiste à vents contraires et attaques étrangères, je peux m’estimer heureux de t’avoir connu, ne serait-ce que pour une heure, une minute, une seconde, que pour un dîner, un déjeuner, une nuit, un lit, une cuisine, deux pieds qui se croisent, deux mains qui se touchent, mais je ne sais pas résister à l’affront de l’amertune de ces moments où je te vois réduire dans mon champ de vision, signifiant par là mon cerveau que je m’éloigne, que tu t’éloigne, que l’on se sépare, pour une minute, un jour, un an, un siècle, la panique me prends comme lorsque je ne te retrouve plus la nuit à mes côtés, disparue dans une insomnie que je ne comprends pas, incapable que je suis d’appréhender la complexité de cette vie qui est la mienne, alors j’invente, j’imagine, que tu es là, que tu me serre dans tes bras, une fois encore, comme on enserre un parent quand l’autre est décédé, avec toute la force du monde, toute la force du désespoir, de ne pas savoir de quoi sera fait ce demain, cet empire poétique de rien du tout, qui ne compte que lorsque je ne suis pas fou.

Rarement. Mais ça suffit !