Entre tes doigts je ne peux que faner
La contrebasse qui couine me rappelle comment c’était à cette époque-là. Quand tu avais honte de moi. Que tu n’osais pas parler de moi à ta famille, à tes amis. Que j’étais un perpétuel étranger à mes yeux. J’avais honte de mes mains, de mes doigts si patauds sur ton corps à la grâce que je trouvais à ce moment si subtile. Maintenant je me dis qu’effectivement ta grâce était très subtile, tellement que je n’en ai plus le moindre souvenir. Je te donnais des « mon amour » et de ta part je n’avais qu’illusions. Tu es au fond très commune. Tu ressemble aux autres. Celles qui ne m’aimaient pas. Qui trouvaient toujours quelque chose à redire sur moi. Moi j’étais aveugle je ne te voyais que des qualités. Je ne voyais ni les messes basses ni l’enclos de solitude que tu tissais autour de moi, méthodiquement. Tous et toutes me le disaient mais je ne croyais que mon coeur. Je n’avais foi qu’en toi. Et pourtant dans l’ombre de la rue tu m’as tendu une embuscade dans laquelle je me suis jeté, les bras tendus vers toi, ne voyant pas sur ton visage toute l’horreur du moment.
Et maintenant que fais-tu de moi ? Je te suis étranger, tu ne me parle plus, ne prends plus attention à moi, ne te soucie plus de moi. Tu ne viens vers moi que quand tu ne va pas bien.
Pendant tout ce temps tu as tenté de m’arracher de la terre fertile du liseret ou je vivais pour me mettre dans un vase, que je ne sois qu’à ta disposition, pour ton seul regard. Et puis une fois que tu as obtenu cela, tu as bien vite détourné tes yeux de moi pour convoiter d’autres fleurs. Tu m’as convoité pendant si longtemps, quand tu m’as eu je n’avais plus de valeur pour toi, tu n’aimais pas ma fleur, tu n’aimais que le pouvoir de réussir à la cueillir.
Tu as fané le fragile éclat de ma rose mais maintenant j’ai aiguisé mes épines. Tu ne m’étouffera plus, tu ne m’éloignera plus du bois ou je repose désormais en paix.
Le réveil fut difficile en cette fin de matinée. J’ai toujours honte de mes mains. Et mes fleurs sont fanées. Et mes fleurs sont fanées. Je vis dans un jardin, qui fleurit quand je dors. J’avais honte de mes mains. Maintenant je sais j’avais tort. Maintenant je sais j’avais tort.
(d’après 3 Minutes sur mer, Le jardin)