Les Chroniques de Valentin

Portrait craché

Liou, la mandragore, était une plante sensible. Par nature, elle était sexuelle, surtout lorsque la météo s’y prêtait. Dès le printemps, elle tombait amoureuse et mettait tout le reste de l’année à s’en remettre. C’était une sentimentale plein de contradictions.

Quand un garçon lui plaisait, elle couchait avec lui et lui disait très vite des « mon amour ». Elle considérait que c’était un amour de plus dans sa constellation secrète, comme si ça la fortifiait. Comme si cette armée d’hommes qui l’avaient croisée devaient rester pour toujours ses protecteurs.

Malheureusement, peu d’êtres de sang acceptent ces passions forestières et désordonnées.

On trouvait trop souvent dans son lit des amants cruels, détachés. Les types bien, elle en faisait des confidents, ce qui finissait par les rendre fous. (...)

Les mandragores ne sont d’ordinaire pas sujettes aux tristesses amoureuses. Les sorciers les cueillent afin qu’elles brisent le coeur de leurs rivaux. La plupart d’entre elles traversent la vie en semant derrière elles les amants éplorés, sans rien savoir des douleurs que l’amour procure. (...)

Elle faisait la grimace des pleurs mais ça ne venait pas. Il y aurait eu de quoi, pourtant.

(Joann Sfar, L’homme-Arbre, tome II, chapitre 2)