Les Chroniques de Valentin

Si j'étais...

Je me lèverais tous les matins en traînant des pieds. Le miroir de la salle de bain m’offrirais ma première crise de la journée. Il me crierait des insultes. Il me ferait peur. La douche comme réconfort. Les cheveux attachés, j’augmenterais la température jusqu’à ce qu’elle devienne à la limite du supportable. Puis je sortirais. Je pesterais contre mes vêtements. Aucun ne veux bien m’aller. La plupart des jours ils me feraient la gueule, eux aussi. Puis dans la rue les étrangers me colleraient des post-it sur le front, avec écrit au marqueur que je ne suis pas à leur goût.

Ouais, merci, je sais bien.

Alors je pleurerais. Dans mon lit, serrant mon oreiller dans mes bras.

Quand je serais petite les enfants seront méchants avec moi. Ils ne savent faire que ça. Ils se moquent des autres. Ceux qui sont différents. Ils sont cruels. Je voudrais qu’ils disparaissent, tous. Ceux qui me montrent du doigt, celles qui rient de moi, et la maîtresse qui ne fait pas de buit. Les pas des enfants dans le couloir, les enfants qui sortent de l’école. Et moi qui pleure derrière la porte. Et les cris quand j’apparaît. Les insultes. Ils hurlent que je ne suis pas à leur goût.

Ouais, merci, je sais bien.

Alors je pleurerais. Dans la voiture, en regardant les maisons qui s’éloignent pendant que maman conduit.

Je donnerais mon coeur aux garçons qui veulent bien de moi. Ceux qui sont désespérés, ceux qui ne me prennent pas au sérieux, où ceux qui sont peut-être sincères. Et ils en feront de la charpie. Ils le tortureront dans tous les sens, le presseront jusqu’à ce que plus rien n’en sorte. Et puis il se remplira et ça recommencera. Ils feraient comme si j’étais quelque chose d’inférieur. Ils m’ignoreraient peut-être. Ils abuseraient de moi, de ma gentillesse, de mes rêves. Et ils me jetteraient, me chuchotant, désolés, que je ne suis pas à leur goût.

Ouais, merci, je sais bien.

Alors je pleurerais. Sur les marches d’un immeuble où je ne reviendrais plus, serrant contre moi le vide béant qu’ils ont laissé.

Une vie de violence, de solitude, de déception. Oui, mais une vie de joie, de désirs, de souvenirs, de douceur. Une vie difficile. Oui, mais une vie de fille. Et pour rien au monde je n’aurais échangé ma place avec quelqu’un d’autre.

(Ecrit pour Les Filles ne savent pas nager)