Les Chroniques de Valentin

Celle qui ne fut belle qu'une fois dans sa vie — Le chien d'en face

Dans le noir et le blanc
Et le gris de la pierre
Du vieux Paris d’antan
Derrière une porte cochère

Elle passait le chiffon
Il y a bien des années
Dans le colimaçon
D’un très vieil escalier

À la pâle lumière
De tous les étages
Comme bonheur et poussière
Ne font pas bon ménage

Des gens de ce couloir
Elle n’avait dans le nombre
Pas l’ombre d’un regard
Ni le regard d’une ombre

En haut de cette prison
De cette cage d’escalier
Là où vivent les pigeons
Sur le dernier palier

Il y avait un garçon
Dans un appartement
Même pas assez grand
Pour y tourner en rond

Ayant par malheur
Le chic chaque matin
Pour marcher dans le bonheur
Déposé par les chiens

Il écrivait la nuit
Sur des murs des poèmes
« Mon amour et ma vie
Sais-tu combien je t’aime ?  »

Ce qu’elle est jolie
L’histoire de celle
Qui ne fut belle
Qu’une fois dans sa vie

Elle savait qu’elle devait
Leur passer un savon
À ces mots qui chantaient
Et à cet Aragon

Mais comment elle pouvait
Mettre de l’eau de javel
Et un coup de balais
Sur des choses aussi belles ?

Et qu’il appartenait
Que ces vers soient lus
À cette femme qu’on aimait
Elle qui n’aurait jamais cru

N’étant pas assez folle
Et la vie trop cruelle
Que ces douces paroles
Aient été dites pour elle

Ce qu’elle est jolie
L’histoire de celle
Qui ne fut belle
Qu’une fois dans sa vie

Mais alors qu’un jour
Elle lisait le roman
De ces belles amours
Gravées sur le ciment

Une voix derrière elle
Sortie de la pénombre
Lui dit « Mademoiselle
Si vous voulez me répondre

Il me reste une craie
Que je vous ai gardée
Un peu comme un secret
Dans un bout de papier »

Dans un silence de plomb
On entendait leurs cœurs battre
Au fond du colimaçon
Qu’elle descendait quatre à quatre

Ce qu’elle est jolie
L’histoire de celle
Qui ne fut belle
Qu’une fois dans sa vie

Moi j’habite encore là
Dans cet immeuble tranquille
Quelque part sous les toits
Quelque part sous les tuiles

Et j’ai toujours le malheur
Chaque matin
De marcher dans le bonheur
Déposé par les chiens

— Le chien d’en face, Celle qui ne fut belle qu’une fois dans sa vie